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traditions

La Nuit de Noël dans tous les pays

La veillée de Noël et les légendes qu'on y raconte...


Quelles douces heures que celles des veillées de décembre et quel charme elles ont laissé dans nos souvenirs d'enfance !

Alors au foyer brillent les joyeuses flambées, pendant que le vent ébranle la maison et que la pluie bat les vitres. Vous voyez d'ici, n'est-ce pas, la salle bien close la lampe sous son abat-jour, le feu de sarments qui pétille avec un bruit sec, illuminant le plafond à solives.

Bébé, heureux et affairé, trottine dans la chambre ; il touche au soufflet, renverse la pelle et regarde avec étonnement et envie son père qui tisonne, tandis que les flammes bleuâtres, longues et minces, lèchent l'écusson de la vieille cheminée aux teintes noires et luisantes.

Assis au coin du feu, le grand-père se chauffe tout pensif, tandis que la marmite fait " glouglou " et que de chaque côté de son lourd couvercle s'échappe un mince filet de vapeur.

La maîtresse du logis a quitté sa belle coiffe et pris le bonnet du soir; debout, la main gauche posée sur la hanche, elle tourne et retourne, de sa main droite, sa grande cuillère de bois dans le ragoût qui " mijote " sur le fourneau.

Dans un coin de la chambre, grand'mère explique à sa petite-fille les enluminures d'un vieil almanach déjà noirci par les années. La vieille horloge, au large balancier de cuivre, frappe lourdement ses coups... Telles sont à peu près les veillées d'hiver dans la plupart des campagnes.

Les divertissements


 

Nous allons citer quelques divertissements auxquels donne lieu la fête de Noël.

Nous avons trouvé dans une notice sur Beaufort, commune de l'Anjou, une très ancienne coutume dont il ne reste pas trace dans les traditions du pays. C'était, à Beaufort, un usage que tous les jeunes gens mariés dans l'année, se réunissent la veille de Noël, pour offrir au public un grand divertissement.

A l'heure indiquée, ils se rendaient, escortés de toute la foule, sur un pont situé sur une petite rivière, à l'extrémité de la ville. Là, au signal donné par les premiers magistrats de la cité, et en présence du seigneur du lieu qui présidait la cérémonie, ils se précipitaient dans l'eau pour y saisir, en nageant, une pelote que l'on avait jetée dans le courant. Les nageurs avaient la liberté d'arracher la pelote des mains de ceux qui l'avaient saisie les premiers ; c'était, on peut le penser, une lutte fort longue et fort distrayante. Celui qui, le plus fort ou le plus adroit, parvenait à se rendre maître de la pelote était proclame le vainqueur. 11 recevait cinquante livres pour " monter son ménage" et était reconduit chez lui au son delà trompe, au bruit des tambours, des fifres et des hautbois.

Ceux des jeunes gens qui, n'étant pas malades, " ne voulaient pas grelotter en nageant après la pelote ", payaient une amende au profit du vainqueur. Une coutume à peu près semblable avait lieu en Normandie, au Mesnil-sous-Jumièges et à Yville

.

La dernière mariée de l'année - et c'était à qui se marierait la dernière pour avoir cet honneur, - en présence de toute la paroisse assemblée, jetait par-dessus l'église une boule ou une pelote où était enfermée une somme d'argent. Chacun faisait ses efforts pour s'en emparer. Or, pour en demeurer maître, il fallait rentrer chez soi et faire braiser la pelote à la bûche de Noël,' dans la cheminée. Quiconque touchait le porteur, lui criait : " Lâche la pelote ", et de nouveau la pelote était lancée.

Souvent cette partie de balle lancée durait fort longtemps, et parfois l'heureux possesseur de la balle demeurait éloigné du village deux eu trois jours avant de rentrer chez lui, attendant que ses adversaires, lassés, aient abandonné la partie. Une sorte de superstition s'en mêlait, la pelote portant bonheur au hameau qui la possédait. C'était un talisman qui assurait de belles récoltes à celui qui pouvait la garder.

Tout cela était très inoffensif, mais les bousculades, les batteries qui s'ensuivaient, l'étaient moins, et, en 1866, on a supprimé définitivement cette originale coutume normande (Journal de Rouen, suppl. du 25 déc. 1898. 2).

Voici, d'après M. J. Carnandet (Bibliothécaire de la ville de Chaumont), ce qui se passait, la veille de Noël, dans les villages champenois. C'est à la nuit tombante que commencent les réjouissances de la fête de Noël. Dès que la dernière lueur du jour s'est fondue dans l'ombré, tous les habitants du pays .ont grand soin d'éteindre leurs foyers, puis ils vont en foule allumer des brandons à la lampe de l'église. Lorsque ces brandons ont été bénits par le clergé, ils les promènent par les champs : c'est ce qu'on appelle la fête des flambarts. Ces flambarts sont le seul feu qui brûle dans le village : ce feu bénit et régénéré jettera dé jeunes étincelles sur l'âtre ranimé dans quelques instants, image symbolique de la renaissance spirituelle apportée au monde par Jésus-Christ. Puis on allume la bûche de Noël.

Pendant la veillée, les paysans, sur l'esplanade et dans les cours, se livrent à mille passe-temps agréables et se divertissent au jeu des folles entreprises. Les uns feignent de vouloir prendre la lune avec les dents, les autres de rompre une anguille avec les genoux, les autres d'étouper les quatre-vents, d'autres, enfin, de faire taire les femmes qui coulent la buie (la lessive).

Mais tous les jeux cessent à minuit, alors que les cloches tintent dans les airs obscurcis. De tous côtés, s'en viennent à l'église de longues files de paroissiens portant des brandons goudronnés, des torches de poix ardente qui répandent de larges clartés sur les campagnes éblouissantes et font scintiller le givre aux buissons des clôtures. Nous avons reçu d'un de nos aimables confrères le récit le plus charmant qu'on puisse désirer d'une veillée de Noël dans le Rouergue (M. l'abbé M..., du diocèse de Rodez).

" Nos coutumes se perdent de plus en plus dans notre Rouergue, comme partout ailleurs ; à mesure que les progrès s'infiltrent dans nos montagnes, les vieilles traditions disparaissent peu à peu pour faire place à la monotone banalité de l'égoïsme et du bien-être."

" Voici cependant ce qui se passe généralement, à l'occasion de Noël, dans la région montagneuse et accidentée qui entoure Rodez : c'est le vieux Rouergue, qui sut se garantir du protestantisme et de l'invasion anglaise."

" Là, dans les vastes plaines arides du Gausse, comme sur les montagnes du Levézou et les mamelons boisés du Ségala, il fait grand froid vers la fin de décembre; aussi on ne ménage pas le bois dans la vaste cheminée autour de laquelle se groupe toute la famille pour la veillée."

" Autrefois, les voisins arrivaient, eux aussi ; on se réunissait, ainsi, nombreux, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, on devisait joyeusement, sans contrainte ni gêne aucune, grignotant de savoureuses châtaignes grillées et les arrosant de cidre ou du petit vin blanc qu'on récolte dans nos vallons. Hélas ! La politique s'est glissée sournoisement jusque chez nous - et unies nos patriarcales réunions.

" Groupée donc autour d'un grand feu, la famille cause doucement : tout à coup, les cloches se font entendre. " Les carillons ! " dit l'un des anciens, et là-dessus, pour satisfaire l'avide curiosité des jeunes, on rappelle toutes les antiques légendes de la fête de Noël, que tout le monde sait déjà, mais qui plaisent toujours."

" On raconte que les cloches de telle ancienne paroisse détruite, jetées dans quelque gouffre profond par les protestants ou les révolutionnaires, se mettent à sonner d'elles-mêmes pour répondre aux joyeux carillons de leurs sœurs qui chantent si gaiement dans le clocher du village."

" Viennent ensuite les récits les plus variés sur la naissance du Sauveur... Presque toujours ces récits se terminent par un cantique de Noël - en patois, bien entendu :
Au miezo micch,
Lous pastrès quitou lou lièch,
Per ona audoura la n.oissenço,
Moun Dious
D'un Dious pic de puissenro
Benez esse Dious.

A minuit,
Les bergers quittent le lit,
Pour aller adorer la naissance,
Mon Dieu !
D'un Dieu plein de puissance,
Venez être Dieu !

" Que de fois n'ai-je pas ouï la voix chevrotante de ma bonne vieille " Mimi ", âgée de plus de quatre-vingts ans, qui me berçait sur ses genoux au rythme mélancolique et suppliant de ce chant naïf.

" Avant de partir pour la Messe de minuit, on plaçait la bûche de Noël (souquo naudolenquo). D'après la tradition, la bûche de Noël, dans toute maison qui se respecte, doit durer jusqu'au 1" janvier, et même, pour s'assurer une heureuse et prospère année, il faut qu'elle brûle sans s'éteindre jusqu'à l'Epiphanie, afin que, si les Rois Mages viennent à passer par là, ils aient de quoi réchauffer leurs membres fatigués et glacés par l'âpre bise de nos montagnes. Aussi ce sont des arbres entiers ou d'immenses souches de chêne que j'ai vu porter par trois ou quatre valets de ferme dans la gigantesque cheminée de la cuisine. "

Une plume très exercée a su mettre en scène l'antique veillée de Noël au pays lorrain ; nous sommes heureux de reproduire ce gracieux tableau. " C'était la veillée de Noël en pays lorrain. Dans la grande salle du château, maîtres et serviteurs sont ras semblés, le souper vient de finir; les pages apportent les galettes dorées et les aiguières de vin vermeil qui doivent égayer la soirée. Au haut de la table, le comte Raoul de Briamont a présidé le repas sur le grand fauteuil seigneurial sculpté aux armoiries de sa maison; il a crié " Noël ! " en élevant gaiement la coupe d'argent, et sa voix sonore a éveillé, en même temps que les échos de la grande salle, la joie dans tous les cœurs des convives. Car tous les serviteurs de Briamont présents au festin de Noël aiment leur jeune maître de quinze ans et respectent sa tête blonde, comme ils respectaient jadis les cheveux blancs de son aïeul. A la droite du comte Raoul se trouvent : le chapelain, messire Didier, qui, tout à l'heure, célébrera dans la chapelle la Messe de minuit ; puis Alain le vieil écuyer du défunt seigneur; dame Pernette, qui a nourri et élevé reniant; les servantes, les hommes d'armes de la petite garnison qui défend le château pendant ces jours troublés; les varlets, les pages et, enfin, une famille de pauvres laboureurs qui est venue le jour même chercher derrière les murs de Briamont un abri contre la fureur des bandes pillardes qui dévastent la campagne. Et tous ont répété : " Noël ! Vive notre jeune seigneur ! "

" - Merci à vous, mes bons serviteurs et amis, reprend le comte Raoul ; merci de votre affection et des soins dont vous m'avez entouré pendant toute cette année, la dernière que je passe parmi vous et sous le toit de mes pères. Bientôt sonnera l'heure du départ; bientôt, sous la conduite de mon suzerain, j'irai trouver notre sire le roi Charles ; bientôt je serai chevalier, je pourrai courir sus à l'Anglais et aider, s'il plaît à Dieu, à le chasser hors du royaume de France. Criez donc : Noël ! Mais aussi : Vive notre gentil dauphin Charles VII! (Marie de Lacer telle, Ann. d'Orléans, 7 janv. 4905) ".

>A Paris, comme dans toutes les grandes capitales, le mouvement et l'animation redoublent la veille de Noël et se prolongent non seulement fort avant dans la soirée, mais encore une partie de la nuit. La Noël, Tune de nos plus grandes fêtes religieuses, l'une des plus touchantes fêtes de famille, est en même temps la plus franchement joyeuse des fêtes populaires.

Dès la nuit tombée, les rues sont envahies par la foule: sur les boulevards, auxquels les petites boutiques provisoires prêtent la physionomie d'une fête enfantine, c'est un flot toujours croissant, toujours renouvelé de promeneurs. Les terrasses des cafés s'encombrent à vue d'œil ; à tous ces gens attablés, des camelots viennent proposer le jouet du jour, en accompagnant leur boniment des facéties les plus originales. Des mendiants cherchent à exploiter la pitié des passants et des industriels sans ressources s'improvisent artistes pour la circonstance.

Ces sortes de " minstrels " pullulent depuis quelques années. Certains exercent leur talent sans collaboration, mais la plupart sont groupés en duo ou trio pour donner leur concert. Ils débitent leur répertoire, généralement insignifiant, devant un public peu exigeant, car c'est d'une façon bien distraite qu'on les écoute. Ces virtuoses du pavé, pauvres " cigales " de l'art, auxquelles la lumière électrique tient lieu de c soleil ", accompagnent souvent leurs chants de " danses " qui ne leur assurent pas toujours ce qu'il faut " pour subsister ".

Un usage des plus édifiants et des plus touchants existe encore au village de Montsecret (Orne). La veille et le matin du jour de Noël, une jeune fille pieuse et estimée de tous va par les maisons porter l'Enfant-Jésus de la Crèche et le fait baiser aux petits enfants. Les parents remettent alors une offrande pour l'entretien de la lampe qui, pendant tout le mois de janvier, brûle à l'église devant la Crèche. Cette visite est regardée comme un honneur et une bénédiction par les familles : les enfants l'attendent avec impatience et l'accueillent avec joie (d'après l'abbé V..., du diocèse de Séez).

Les Légendes


 

Ce qui fait le plus grand charme de la veillée de Noël, ce sont assurément les légendes qu'on y raconte : leur ensemble forme un des plus captivants chapitres de la littérature populaire ; elles sont tour à tour terribles ou touchantes, dramatiques ou gracieuses. Il serait bien difficile de dire quelle est l'origine de ces fables, historiettes ou contes, qui ont trait à la naissance de l'Enfant-Dieu. Ces récits, auxquels les vieillards savent donner tant de charmes, font toujours les délices des enfants.

Les légendes de la veillée de Noël peuvent se diversifier d'après les êtres qui entrent en scène. Etres inanimés, animaux, démons, récits édifiants ; tel est l'ordre que nous suivrons.

Etre inanimés
En Franche-Comté, on raconte qu'une roche pyramidale, qui domine la crête d'une montagne, tourne trois fois sur elle-même pendant la-Messe de minuit, quand le prêtre lit la généalogie du Sauveur. En cette même, nuit, les sables des grèves, les rocs des collines, les profondeurs des vallées s'entrouvrent et tous les trésors enfouis dans les entrailles de la' terre apparaissent à la clarté des étoiles.
Dans cette même contrée existe la légende de la pierre qui vire. C'est une pierre pointue dressée en équilibre sur un rocher, entre les villages de Scey-en-Varais et de Cler, et qui, dit-on, fait un tour complet sur elle-même au coup de minuit, à Noël (L'abbé V..., du diocèse de Besançon).
Dans les Vosges, la pierre tournerose, bloc élevé qui existait près de Remiremont, se mettait elle-même en mouvement quand les cloches de Remiremont, de Saint-Nabord et de Saint-Etienne (deux paroisses voisines de Remiremont) appelaient les fidèles à la Messe de minuit (Richard, Traditions populaires).
C'est surtout au pays de Caux (Seine-Inférieure) qu'existe la légende des pierres tournantes. Ces pierres faisaient autrefois trois tours sur elles-mêmes pendant la Messe de minuit, et les monstres qui étaient censés y habiter exécutaient autour d'elles des danses folle3 qu'il eût été dangereux de troubler. Citons la chaise de Gargantua à Duclair, la pierre Gante à Tancarville, la pierre du Diable à Griquetot-sur-Ouville.
A Minières, dans le Cotentin (Manche), au carrefour des Mariettes, se trouve un bloc de pierre pesant mille kilos, qui, dit-on, saute trois fois, le jour de Noël, à minuit.
On croit encore, au pays de Caux, que les cloches perdues sonnent pendant la Messe de minuit.
Certains affirment avoir entendu l'ancienne cloche de l'église des moines d'Ouville-l'Abbaye, qui passe pour être enfouie dans le " Bosc-aux-Moines ", à Boudeville.



 

Mais il faut surtout lire les légendes bretonnes.
Nombreuses autant qu'énormes sont les pierres qui se déplacent pendant la Messe de minuit, pour aller boire, comme des moutons altérés, aux rivières et aux ruisseaux.
Un mégalithe, près de Jugon (Côtes-du-Nord), se rend à la rivière de l'Arguenon. Dans le bois de Couardes, un bloc de granit, haut de trois mètres, descend pour aller boire au ruisseau voisin et remonte à sa place de lui-même.
Il y a, au sommet du mont Beleux, un menhir qui se laisse enlever par un merle et qui met à découvert un trésor.
Il faut entendre surtout, telle qu'elle nous est contée par Emile Souvestre, la jolie légende des pierres de Plouhinec qui vont boire à la rivière d'Intel (Emile Souvestre, Le Foyer Breton, tome II. p. 181).
La plus célèbre était jadis la grosse pierre de Saint-Mirel, dont Gargantua se servit pour aiguiser sa faux, et qu'il piqua, après la fauchaison, comme on la retrouve encore aujourd'hui.
Elle cachait un trésor qui tenta un paysan des alentours.
Ce paysan était si avare qu'il n'eût pas trouvé son pareil : le liard du pauvre, la pièce d'or du riche, il prenait tout ; il se serait payé, s'il eût fallu, avec la chair des débiteurs.
Quand il sut qu'à la Noël les roches allaient se désaltérer dans les ruisseaux, en laissant à découvert des richesses enfouies par les anciens, il songea, pendant toute la journée, à s'en emparer.
Pour pouvoir prendre le trésor, il fallait cueillir, durant les douze coups de minuit, le rameau d'or qui brillait à cette heure seulement dans les bois de coudriers et qui égalait en puissance la baguette des plus grandes fées. Lors, ayant cueilli le rameau, il se précipita de toute sa force vers le plateau où le rocher de Gargantua profilait sa masse sombre, et, lorsque minuit eut sonné, il écarquilla les yeux.
Lourdement le bloc de pierre se mettait en marche, s'élevant au-dessus de la terre, bondissant comme un nomme ivre à travers la lande déserte, avec des secousses brusques qui faisaient sonner au loin le terrain de la vallée.
Jusqu'à ce moment la branche magique éclairait l'endroit que la pierre venait de quitter. Un vaste trou s'ouvrait, tout rempli de pièces d'or.
Ce fut un éblouissement pour l'avare, qui sauta au milieu du trésor et se mit en devoir de remplir le sac qu'il avait apporté. Une fois le sac bien chargé, il entassa ses pièces d'or dans ses poches, dans ses vêtements, jusque dans sa chemise. Dans son ardeur, il oubliait la pierre qui allait venir reprendre sa place. Déjà les cloches ne sonnaient plus. Tout à coup le silence de la nuit fut troublé par les coups saccadés du roc qui gravissait la colline et qui semblait frapper la terre avec plus de force, comme s'il était devenu plus lourd après avoir bu à la rivière. L'avare ramassait toujours ses pièces d'or. Il n'entendit pas le fracas que fit la pierre quand elle s'élança d'un bond vers son trou, droite comme si elle ne l'avait pas quitté.
Le pauvre homme fut broyé sous cette masse énorme, et de son sang il arrosa le trésor de Saint-Mirel (Lectures pour Tous, déc. 1903, p. 190.).



 

Animaux
Il existe, en France surtout, une croyance populaire dont les formes varient suivant les différentes contrées : c'est la conversation des animaux entre eux pendant la Messe de minuit et surtout pendant la lecture ou le chant de la Généalogie.
C'est sans doute une réminiscence de la représentation de l'ancien " Mystère de la Nativité ", pendant laquelle on faisait parler les animaux.
Cette croyance si répandue, avec de nombreuses variantes, peut se résumer ainsi : un paysan, probablement ivre, ayant omis d'offrir à son bétail le réveillon traditionnel, entend ce dialogue entre les deux grands bœufs de son étable :
Premier bœuf : " Que ferons-nous demain, compère"?
Second bœuf : " Porterons notre maître en terre... "
Le maître, furieux, en entendant cette prédiction, saisit une fourche pour frapper le prophète de malheur ; mais, dans sa précipitation, il se blesse maladroitement lui-même à la tête... et le lendemain les bœufs le portent en terre.
Tel est le thème développé différemment suivant les provinces.

Dans les Vosges, à la Bresse, canton de Saulxures-sur-Moselotte, on a soin de donner abondamment à manger aux animaux avant d'aller à la Messe de minuit. A Comimont, au Val-d'Ajol, on croit encore que les animaux se lèvent et conversent ensemble pendant la Messe de minuit. On raconte à ce sujet qu'un habitant de Cornimont, jouissant de la réputation d'esprit fort, voulut s'assurer de ce fait surnaturel. 11 alla se coucher dans un coin obscur de l'écurie située derrière sa maison.
A l'heure de minuit, il vit un de ses bœufs se réveiller, puis se lever pesamment et demander, en bâillant, à son compagnon de fatigue, ce qu'ils feraient tous deux le lendemain. Celui-ci lui répondit qu'ils conduiraient leur maître au cimetière. La chose ne manqua pas d'arriver, dit la tradition : notre esprit fort fut saisi d'une telle frayeur qu'il en tomba raide mort sur place. Ainsi, sans doute, le racontèrent les bœufs.

On assure aussi qu'une semblable aventure arriva à une femme de Raon-aux-Bois, canton de Remiremont. Poussée par la curiosité, elle alla visiter ses étables pendant la Messe de minuit. Elle apprit également de ses bœufs qu'ils ne tarderaient pas à la conduire en terre (Traditions populaires, par Richard. Remiremont, 4818). La nuit de Noël est célèbre par une vieille légende que les paysans landais racontent avec terreur, pendant les veillées d'hiver.
Ils prétendent que le jour de Noël, vers minuit, l'âne et le bœuf se mettent à parler entre eux. Ils causent du temps où l'Enfant-Jésus n'avait pour se réchauffer que leur haleine. Ce don miraculeux de la parole est le cadeau envoyé tous les ans par le Ciel à ces deux animaux, en souvenir des bons offices rendus à l'Enfant-Jésus dans l'étable de Bethléem. Mais malheur à celui qui tente de surprendre leur mystérieuse conversation.
Sa témérité est punie d'une manière terrible : il tombe mort à l'instant même (Le Petit Landais, 25 décembre 1902).
Un bon paysan de Gaillères l'éprouva à ses dépens. Pour se convaincre de la vérité du fait, il vint écouter à l'étable, et voilà qu'à minuit juste, le bœuf dit à son voisin :
" Hoù Bouêt ? - Hoù Bortin.
- Que haram-nous, douman matin ?
- Que pourteram lou boue ou clôt. E lou boue que mouri sou cop " (Sorcières et loups-garous dans les Landes, p. 39).
Voici comment Laisnel de Lasalle a gracieusement brodé cette légende : la scène se passe en Berry (Croyances et légendes, tom. I, p. 17).
" On assure qu'au moment où le prêtre élève l'hostie pendant la Messe de minuit, toutes les aumailles (bêtes à cornes) de la paroisse s'agenouillent et prient devant îa Crèche. On assure encore qu'après cette oraison toute mentale, s'il existe dans une étable deux bœufs qui sont frères, il leur arrive infailliblement de prendre la parole.
" On raconte qu'un boiron (On appelle boiron le jeune g-areon qui touche on aiguillonne les bœufs pendant le labourage. - On dit aussi boyer pour bouvier - en italien, boaro) qui, dans ce moment solennel, se trouvait couché près de ses bœufs, entendit le dialogue suivant :
" - Que ferons-nous demain ? demanda tout à coup le plus jeune du troupeau.
" - Nous porterons notre maître en terre, répondit d'une voix lugubre un vieux bœuf à la robe noire, et tu ne ferais pas mal, François, continua l'honnête animal en arrêtant ses grands yeux sur le boiron qui ne dormait pas, tu ne ferais pas mal d'aller l'en prévenir, afin qu'il s'occupe des affaires de son salut.
" Le boiron, moins surpris d'entendre parler ses bêtes qu'effrayé du sens de leurs paroles, quitte l'étable en toute hâte et se rend auprès du chef de la ferme pour lui faire part de la prédiction.
" Celui-ci se trouvait attablé avec trois ou quatre francs garnements de son voisinage et, sous prétexte de faire le réveillon, présidait à une monstrueuse orgie, tandis que la cosse de Nau (bûche de Noël) flamboyait dans l'âtre et que sa femme et ses enfants étaient encore à l'église.
" Le fermier fut frappé de l'air effaré de François à. son arrivée dans la salle.
- Eh bien? Qu'y a-t-il? lui demanda-t-il brusquement.
" - Il y a que les bœufs ont parlé, répondit le boiron consterné.
" - Et qu'ont-ils chanté ? reprit le maître.
" - Ils ont chanté qu'ils vous porteraient demain en terre ; c'est le vieux Noiraud qui l'a dit, et il m'a même envoyé vous en avertir, afin que vous ayez le temps de vous mettre en état de grâce.
" - Le vieux Noiraud en a menti, et je vais lui donner une correction, s'écria le fermier, le visage empourpré par le vin et la colère.
Et, sautant sur une fourche de fer, il s'élance hors de la maison et se dirige vers les étables. Mais il est à peine arrivé au milieu de la cour qu'on le voit chanceler, étendre les bras et tomber à la renverse.
" Etait-ce l'effet de l'ivresse, de la colère ou de la frayeur ?
" Nul ne le sait.
" Toujours est-il que ses amis, accourus pour le secourir, ne relevèrent qu'un cadavre et que la prédiction du vieux Noiraud se trouva accomplie.
" Depuis cette aventure, que l'on dit fort ancienne, les bœufs ont toujours continué à prendre, une fois l'an, la parole ; mais personne n'a plus cherché à surprendre le secret de leur conversation. "


" A Romorantin, nous écrit un de nos correspondants, lorsque j'étais enfant, on me recommandait de me trouver à la Crèche, le jour de Noël, à minuit sonnant; c'était, me disait-on, l'heure où le bœuf et l'âne empruntaient la voix humaine pour saluer le Christ naissant. "
Dans le Colentin, où la foi est naïve, on est persuadé que toute la création adore le petit Jésus, à Noël. A l'heure de minuit, dit-on, tous les animaux de ferme s'agenouillent, et tel curieux qui voudrait alors pénétrer dans l'étable, uniquement pour s'assurer du fait, serait immédiatement puni de sa témérité (Ces détails nous ont été donnés par un habitant de Millieres, Manche).

Démons et croyances superstitieuses
Un ancien Noël nous donne une description frappante et naïve de la rage du démon, à la venue du Messie :
Ara : J'endêve.
Le démon, assurément,
Dedans son cœur endêve,
Car Dieu vient présentement
Pour sauver les fils d'Adam
Et d'Eve, d'Eve, d'Eve !
Il régnait absolument
Sans nous donner de trêve,
Mais ce saint avènement
Délivre les fils d'Adam
Et d'Eve, d'Eve, d'Eve!
Chantons Noël hautement,
Sortons de notre rêve,
Bénissons le sauvement
De tous les enfants d'Adam
Et d'Eve, d'Eve, d'Eve (Bible des Noëls, p. 33) !

La nuit de Noël est la plus mystérieuse de toutes les nuits. Il semble que Satan, exaspéré par l'échec que ce divin anniversaire lui remet en mémoire, sente, à chaque retour de la grande fête, redoubler sa haine et sa rage contre l'humanité. C'est alors qu'il sème dans les sentiers et sur les carroirs (On donne le nom de carroirs à tous les carrefours champêtres, c'est-à-dire à tout terrain vague ou désert où viennent se croiser plusieurs chemins) que doivent parcourir les pieuses caravanes de la Messe de minuit, ces larges et splendides pistoles qui jettent dans l'ombre de si magiques et de si attrayants reflets. C'est alors qu'il ouvre, au pied des croix et des oratoires champêtres, ces antres béants au fond desquels on voit ruisseler des flots d'or. Malheur à celui qui tente de garnir son escarcelle de cette brillante monnaie. Chaque pistole ramassée échappe aussitôt des mains, en laissant aux doigts une empreinte noire, ineffaçable, avec une sensation de brûlure atroce, pareille à celle du feu de l'enfer.

Le Maufait (le malfaisant, le diable) est partout, on le rencontre courant la campagne sous les formes les plus imprévues.

Autrefois, au collège de Saint-Anand, un vieux domestique contait ainsi l'aventure fantastique qui lui était arrivée le 25 décembre 1783.
Malgré les recommandations de son père, il avait tendu des collets dans un ancien cimetière. Il y courut pendant la Messe de minuit et trouva pris au piège un lièvre qui, au lieu de l'attendre, se coupa la patte avec les dents. Lui de le poursuivre, l'autre de se sauver aussi vite que le lui permettait sa blessure. Enfin, après une longue course, ils arrivèrent tous les deux aux bords du Cher, et au moment où le chasseur allait mettre la main sur sa proie, la maligne bête franchit la rivière d'un seul bond. Alors se tournant vers le jeune homme épouvanté : Eh bien ! L'ami, s'écria le Diable qui avait repris sa forme, est-ce bien sauté pour un boiteux? "
En Limousin, fans les campagnes, existe cette croyance que les maléfices, les sortilèges, toutes les œuvres de l'Esprit du mal perdent, la nuit de Noël, leur puissance ; qu'il est possible de pénétrer jusqu'aux trésors les plus cachés, la vigilance des monstres ou des êtres surnaturels qui les gardent se trouvant en défaut, ou leur pouvoir suspendu (M. G-, de la Société archéologique du Limousin).


Shakespeare, le grand poète anglais, connaissait cette tradition quand, dans Hamïet, il fait dire à Marcellus :
Some say that ever'gainst that season comes,
Wherein Our Saviour's birth is celebrated,
The bird of dawning singeth a night long ;
And then, they say, no spirit dare stir abroad ;
The nights are wholesome ; then no planets strike,
No fairy take, nor witch hath power to charm ;
So hallowed and so gracious is the time
( Shakespeare, Hamlet, acte I, scène I).

Il y en a qui disent que toujours à l'époque
Où est célébrée la naissance de notre Sauveur,
L'oiseau de l'aurore (Le coq) chante tout le long de la nuit;
Alors, dit-on, aucun esprit n'ose errer dans l'espace :
Les nuits sont sans malignité, nulle planète ne peut nuire,
Nulle fée ne prend, et nulle sorcière n'a le pouvoir de jeter des sorts ;
Si béni et si plein de grâce est ce moment de l'année !
Et, en effet, un moment vient où le Malin est enfin réduit à l'impuissance : c'est lorsque tinte le premier coup de minuit. Ecoutez plutôt ce que lit Jean Scouarn, de Saint-Michel-en-Grève, près de Ploumilliau (Côtes-du-Nord).
Un jour qu'il errait sur les grèves de Saint-Michel, il rencontra un pauvre chemineau qui, pour le remercier d'un morceau de pain qu'il lui avait donné, lui révéla le moyen de gagner la fortune et le bonheur. Il lui apprit, en effet, qu'au milieu de la grève se dressait un château habité par une princesse, belle comme une fée et riche

Le repas maigre


" Il existe dans notre Auvergne des coutumes qui, pour être moins éclatantes, n'en ont pas moins un charme tout particulier et un sens profondément chrétien."

"La veille de Noël, la nuit venue, la table est dressée devant le foyer. On la couvre d'une nappe bien blanche, et, au centre d'une magnifique brioche, on place un chandelier en cuivre soigneusement fourbi. La maîtresse de la maison fouille dans la grande armoire et revient avec " une chandelle précieusement enveloppée dans du papier gaufré."

"La belle chandelle prend place au milieu de la table."

" …. Les préparatifs terminés, mon vieux père, quoique malade, veut assister au repas. Il prend, de sa main tremblante, la chandelle de Noël, l'allume, fait le signe de la croix, puis l'éteint et la passe au frère aîné. Celui-ci, debout et tête nue, l'allume à son tour, se signe, l'éteint, puis la passe à sa femme. La chandelle passe ainsi de main en main, pour que chacun, à son rang d'âge, puisse l'allumer. Elle arrive enfin entre les mains du dernier né. Aidé par sa mère, celui-ci l'allume à son tour, se signe et, sans l'éteindre, la place au milieu de la table, où elle brille - bien modestement - pendant tout le repas."

" N'est-ce pas là le souvenir touchant de la Lumièret qui éclaire tout homme venant en ce monde (Joann I, 9) ?"

" Ce rite accompli, le repas commence joyeux, animé, assaisonné par le jeûne de la vigile, agrémenté par l'apparition de la traditionnelle soupe au fromage et par les surprises que ménage la cuisinière. Et quand les grâces sont dites, les enfants vont se coucher, bercés par l'espoir - souvent trompé - d'aller à la Messe de minuit. On roule dans le foyer une grosse souche, et on attend minuit, en chantant les vieux Noëls ou en racontant les histoires d'autrefois."

" Quand l'heure, est venue, quand les habitants des villages arrivent de tous côtés, avec leurs lanternes et leurs torches de paille, on se dirige vers l'église pour goûter les émotions toujours nouvelles de cette bien heureuse nuit."

On nous écrit des Salces (Lozère) : " Quelquefois la ménagère, la mère de famille, n'a pas pu assister à la Messe de minuit. Elle a dû préparer le réveillon. Ce repas consiste souvent, dans nos montagnes, en lait bouilli et chaud, saucisses fraîches et autres productions de la ferme, sans exclure la rasade de vin pétillant. "

La chandelle de Noël, conservée précieusement, est allumée au matin du premier- jour de l'an, quand les parents et les amis viennent, avant l'aube, offrir leurs vœux empressés. C'est elle encore qui éclaire de ses dernières lueurs les royautés éphémères du jour de l'Epiphanie. Cette gracieuse coutume a été célébrée par un de nos meilleurs poètes :

Les chandelles de Noël
Aujourd'hui que l'acétylène,
Le gaz ou l'électricité
Ont détrôné sans nulle gêne
L'antique et fumeuse clarté
De la Chandelle,
Peut-on vraiment
Vous parler d'elle
En ce moment?
Cependant elle vit encore
Et se livre à de beaux exploits
Quand, de Minuit jusqu'à l'Aurore,
Elle rayonne en maints endroits.
Venez plutôt dans la Lozère :
Au début de tout Réveillon
Une Chandelle seule éclaire
La familiale, collation.
L'aïeule, d'une main tremblante,
L'allume, se signe... et l'éteint ;
Puis, enfants, serviteurs et servante
De même font, d'un tour de main.v Précieusement conservée
Dame Chandelle, huit jours après,
Avec sa mèche ravivée
Eclaire encor vœux et souhaits.
Et ce n'est qu'à l'Epiphanie,
A ce joyeux banquet des Rois,
Qu'à l'Etoile portant envie,
Elle brille.... et meurt à la fois !
Comtesse O'ilkjzonr.

En Provence, toute la famille se réunit à table pour le gros souper. Dès sept heures du soir, les rues de la ville ou du village, sont désertes et, par contre, toutes les maisons sont brillamment éclairées; on oublie pour un jour l'économie du luminaire; la modeste lampe à l'huile (lou calèn) est mise de côté et l'on place sur la table, d'une façon symétrique, les belles chandelles cannelées, ornées de festons.

La place d'honneur appartient de droit au plus âgé, grand-père ou quelquefois bisaïeul. Avant de passer à table, on allume dans la cheminée l'énorme bûche de Noël (cacho fio) qui doit brûler une moitié de la nuit.

Le plus jeune des enfants de la maison, muni d'un verre de" vin, fait trois libations sur la bûche, tandis 'que l'aïeul prononce, en provençal, les paroles solennelles de la bénédiction :
Alegre ! Diou nous alegre !
Cacho-fio ven, tout ben ven.
Diou nous fague la graci de veire l'an que ven,
Se sian pas mai, siguen pas men!

Réjouissons-nous ! Que Dieu nous donne la joie !
Avec la Noël, nous arrivent tous les biens. Que Dieu nous fasse la grâce de voir l'année qui va venir !
Et si l'an prochain nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins.

Tandis que la bûche flambe, on s'assied pour le plantureux repas. " Le plus jeune enfant, avec une "gentille gaucherie, bénit les mets, en dessinant de ses mains mignonnes, lentement dirigées par l'aïeul, un grand signe de croix au-dessus de la table. Il semble tout naturel de choisir ce petit être innocent comme le représentant du Christ nouveau-né " (Nicolay, Hist. des croyances, t. II, p. 78).

Ce repas, comme c'est jour d'abstinence, n'est composé que de plats maigres, mais servis à profusion ; poissons frais, poissons salés, légumes, figues sèches, raisins, amandes, noix, poires, oranges, châtaignes, pâtisseries du pays. C'est donc avec raison qu'on donne à ce festin le nom du gros soupé.

Les enfants, qui ont obtenu, ce soir, la permission de tenir compagnie aux vieux parents, regardent toutes ces gourmandises avec des yeux émerveillés. Dans certaines familles, on met de la paille sous la table, en souvenir de la crèche où naquit le Sauveur. Quelquefois, par esprit de charité, on permet, ce jour-là, aux serviteurs de prendre leur repas à la table du maître.

Le gros souper commence parfois tristement, et cela se conçoit : les convives se comptent et la mort cruelle fait que bien souvent il manque quelque parent à l'appel, On cause un moment des absents, on adresse un hommage ému à leur mémoire, on rappelle leurs qualités. Mais la grandeur de la fête, la joie des enfants, mettent bientôt fin à ces tristes souvenirs. Les conversations deviennent plus bruyantes, le vin circule, le nougat se dépèce et, quand l'appétit est satisfait, les regards se tournent vers la Crèche, qui représente le grand mystère du jour.

C'est devant la Crèche qu'après le gros souper, se continue la fête de famille. On chante avec entrain les vieux noëls-provençaux souvent plusieurs fois séculaires : ceux de Saboly et ceux de Doumergue sont les plus populaires. La soirée de famille se prolonge ainsi toute la veillée. Alors tout le monde se rend à l'église pour assister à la Messe de minuit (D'après Fred. Charpin et François Mazuy).

Pour les Provençaux, la fête la plus traditionnelle, la plus régionale, c'est bien la Noël. Dans cette veillée, dont l'usage se perpétue avec le même esprit familial depuis des centaines d'années, on s'unit plus étroitement aux morts vénérés et aimés. Bien dès inimitiés prennent fin dans cette fête à laquelle on n'ose pas manquer et qui établit entre tous les parents une profonde et chrétienne intimité. Rester seul, chez soi, à l'écart, ce jour-là, serait regardé comme la marque d'un mauvais naturel et d'un cœur peu chrétien.

Dans le Comtat-Venaissin, l'ordonnance de la collation de Noël est de la plus grande simplicité. Du poisson ou des escargots, suivant les ressources des convives, du céleri, des confitures, des fruits de toutes sortes, verts ou secs. Au milieu de la table, un Dain ou gâteau de forme élevée et conique nommé pan calendfiu ou pain de Noël ; il ne doit pas s'entamer avant le premier jour de janvier. Au-dessus de ce pain, un rameau de houx frelon ou vert bouissé, garni de ses fruits rouges et de ganses faites avec la moelle de jonc. Les chandelles ou bougies qui éclairent le repas doivent être neuves et leur usage, ainsi que celui de la bûche de Noël, doit se prolonger jusqu'au jour de l'an.

Nous ne saurions mieux faire que de laisser Frédéric Mistral lui-même nous raconter la veillée de Noël en Provence :
Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête, c'était la veillée de Noël. Ce jour-là, les laboureurs dévalaient de bonne heure; ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l'huile, une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage du troupeau, une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-ci et qui de-là, les serviteurs s'en allaient, pour " poser la bûche au feu ", dans leur pays et dans leur maison. Au Màs, ne demeuraient que les quelques pauvres hères qui n'avaient pas de famille ; et, parfois, des parents, quelques vieux garçons, par exemple, arrivaient à la nuit, en disant :
- Bonnes fêtes ! Nous venons poser, cousins, la bûche au feu, avec vous autres.
Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la " bûche de Noël ", qui - c'était de tradition - devait être un arbre fruitier. Nous l'apportions dans le Mas, tous à la file, le plus âgé la tenant d'un bout, moi, le dernier-né, de l'autre ; trois fois, nous lui faisions faire le tour de la cuisine ; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit, en disant :
Allégresse ! Allégresse,
Mes beaux enfants, que Dieu nous comble d'allégresse !
Avec Noël, tout bien vient,
Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine.
Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n'y pas être moins.
Et, nous criant tous : " Allégresse, allégresse, allégresse ! " on posait l'arbre sur les landiers et dès que s'élançait le premier jet de flamme :
A la bûche, Boutefeu !
disait mon père en se signant. Et, tous, nous nous mettions à table.
Oh ! La sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à l'entour, la famille complète, pacifique et heureuse. A la place du caleil, suspendu, à un roseau, qui, dans le courant de l'année, nous éclairait de son lumignon, ce jour-là, sur la table, trois chandelles brillaient ; et si, parfois, la mèche tournait devers quelqu'un, c'était de mauvais augure. A chaque bout, dans une assiette, verdoyait du blé en herbe, qu'on avait mis germer dans l'eau, le jour de la Sainte-Barbe. Sur la triple nappe blanche, tour à, tour apparaissaient les plais sacramentels : les escargots, qu'avec un long clou chacun tirait de la coquille; la morue frite et le muge (poisson de mer appelé aussi mulet) aux olives, le cardon, le scolyme, le céleri à la poivrade, suivis d'un tas de friandises réservées pour ce jour-là, comme : fouaces à l'huile, raisins secs, nougat d'amandes, pommes de paradis ; puis, au-dessus de tout, le grand pain calendal, que l'on n'entamait jamais qu'après en avoir donné, religieusement, un quart au premier pauvre qui passait.
La veillée, en attendant la messe de minuit, était longue, ce jour-là; et, longuement, autour du feu, on y parlait" des anciens ancêtres et on louait leurs actions (Frédéric Mistral).

A Marseille, pour le repas maigre de la veillée de Noël, il faut invariablement un plat d'anguille, une raïto sorte de sauce au poisson, et des légumes. Le dessert se compose de fruits secs, de gâteaux, de confitures, en, un mot de tout ce qu'on nomme, à Marseille, les Calenos. Autrefois, suivant la coutume des anciens seigneurs provençaux, la table demeurait couverte de mets pendant les trois jours de fête ; on se contentait de relever la nappe quand la repas était terminé.

Le musée d'Arles, fondé en 1896 par Frédéric Mistral, est une véritable reconstitution du passé intime, familial de la Provence. L'illustre fondateur y a réuni, dans six grandes salles ouvertes au public, tout ce qui a trait aux mœurs locales et régionales du pays. Dans la première salle, dite salle, de Noël (Salo Ca-lendalo), est représentée la cuisine d'un mas (ferme, métairie). Nous y voyons, entourant la grande cheminée, tous les meubles, ustensiles, table, crédence, panetière, huche, armoires, dressoirs pour les étains, horloge, chenets, la vaisselle, verriers, lampes, batterie de cuisine, brocs de cuivre, poteries grossières, etc., en un mot tout le mobilier traditionnel d'une ancienne maison agricole de Provence.

En voyant cette pièce, nous sentons parfaitement que nous sommes chez de riches paysans. Les étables doivent être pleines, les mûriers doivent donner des brassées de feuilles pour le réveil des vers à soie, et la vigne doit saigner aux vendanges, comme un taureau blessé ensanglante une arène. Sur la table, trois nappes, trois chandelles, symbolisent le mystère de la sainte Trinité. A ses deux extrémités, cette table est garnie des prémices de la moisson sous la forme de blé en herbe, et couverte de tous les plats conventionnels : le pain calendal (de Noël) portant une incision cruciale (on en réserve un quart pour le premier pauvre qui passe), le muge (faute de muge, on mange de la morue), les escargots, le cardon, le céleri et enfin la fougasso (fouasse), galette percée de trous. Nous y voyons encore le sauve-crestian, grosse bouteille renfermant des grains de raisin dans l'eau de vie, et enfin le barralet, petit tonneau contenant le vin cuit, ce fameux vin cuit dont les Provençaux boivent une rasade dans leurs festins.

Nous terminerons par une lettre très intéressante que nous a écrite un confrère de Bretagne (A. G..., ancien curé de Malestroit). " Dans beaucoup de familles, vous le savez comme moi, le réveillon de Noël n'a plus de raison d'être. Bien des gens qui ne vont pas à la messe et qui se vantent de ne plus croire à rien, croient encore au réveillon, parce que c'est un prétexte â ripaille, mais ils ne se soucient nullement de la naissance de l'Enfant Jésus. Eh bien ! Je crois que, proportion gardée, on pourrait presque en dire autant du repas maigre. "

Assurément les Auvergnats et les Provençaux dont vous parlez sont encore des croyants, puisqu'ils ont conservé la tradition du repas maigre à la veillée de Noël; mais pourtant ce repas est trop plantureux et trop varié pour qu'on puisse y voir une mortification. Evidemment tous ces détails sont pleins d'intérêt et vous avez eu grandement raison de ne pas les négliger, surtout au point de vue du pittoresque local. Mais, je le répète, ces repas maigres sont de vrais festins et non des collations de vigile, et, à la veillée de Noël, je les trouve tout à fait déplacés. Est-ce bien, pour des chrétiens, le moment de faire bombance, quand l'Evangile nous montre Marie et Joseph cherchant inutilement un gîte et peut-être un morceau de pain ?

Qu'après la Messe de minuit, on se réjouisse, on réveillonne, rien de mieux, parce qu'alors les bergers sont déjà venus apporter des provisions à la Crèche et que la Sainte Famille n'a plus à craindre la disette; mais, avant minuit, je vous avoue que cela me choque, d'autant plus que je ne vois, dans la soirée, aucun acte religieux préparatoire à la fête de Noël.

En Bretagne, rien de plus frugal que le repas de la vigile de Noël. A Bignan, par exemple, on fait cuire, dans le four de la ferme, un petit pain rond pour chaque personne de la famille. Ce petit pain est mangé tout sec, sans beurre et sans autre boisson qu'un verre d'eau. C'est là tout le repas de la vigile. On ne commence à manger qu'après le coucher du soleil et lorsqu'on a pu compter au moins neuf étoiles, en mémoire des neuf mois pendant lesquels la Vierge Marie a porté l'Enfant Jésus.

Ce maigre repas achevé, on s'assied autour de la bûche traditionnelle, et la veillée se passe en prières. A Mohon,' où j'ai été trois ans recteur, avant de partir pour la messe de minuit, on tient à réciter " les mille Ave ". Chacun dit un chapelet à son tour, pendant que les autres répondent. Après trois ou quatre chapelets récités de la sorte, on se délasse un peu en chantant quelque vieux Noël ; puis on reprend la prière, jusqu'à ce que soient achevés les vingt chapelets nécessaires pour faire le total des mille Ave.

Voilà ce que devrait être, avec des variantes, selon les régions, la veillée de Noël dans toute famille vraiment chrétienne : ne prendre de nourriture que ce qui est nécessaire pour soutenir le corps ; puis, le repas achevé, prier en union avec l'Ange, en saluant mille fois la Vierge qui, dans quelques instants, sera la Mère de Dieu, mais qui, pour le moment, erre encore dans les rues de Bethléem à la recherche d'un gîte qui lui sera refusé. Tout à l'heure, au retour de la Messe de minuit, la nature reprendra ses droits el on réveillonnera copieusement, pour se réjouir de la naissance de Jésus et aussi pour réparer les fatigues de la marche et de la veillée ; mais alors la Sainte Famille aura reçu la visite des bergers et ne sera plus dans le dénuement. "

Nous sommes bien de l'avis de notre aimable correspondant. Le véritable esprit chrétien de la nuit de Noël doit consister dans la mortification du repas maigre de la vigile et, après la Messe de minuit, dans la joie exubérante du réconfortant réveillon auquel prend part la famille tout entière.

La bûche de Noel


La bûche de Noël réunissait autrefois tous les habitants de la maison, tous les hôtes du logis, parents et domestiques, autour du foyer familial.

La bénédiction de la bûche avec les cérémonies traditionnelles dont elle se parait n'était que la bénédiction du feu, au moment où les rigueurs de la saison le rendent plus utile que jamais : cet usage existait surtout dans les pays du Nord. C'était la fête du feu, le Licht des anciens Germains, le Yule Log, le feu d'Yule des forêts druidiques, auquel les premiers chrétiens ont substitué cette fête de sainte Luce (Evidemment, Lucie vient du latin lux, lucis, lumière) dont le nom, inscrit le 13 décembre au calendrier, rappelle encore la lumière.

Il est tout naturel qu'on mette en honneur, au vingt-cinq décembre, au cœur de l'hiver, le morceau de bois sec et résineux qui promet de chauds rayonnements aux membres raidis sous la bise. Mais, souvent, cette coutume était un impôt en nature, payé au seigneur par son vassal. A la Noël, on apportait du bois ; à Pâques, des œufs ou des agneaux ; à l'Assomption, du blé ; à la Toussaint, du vin ou de l'huile.

Il arrivait aussi, quelquefois, que les pauvres gens ne pouvant se procurer des bûches convenables pour la veillée de Noël, se les faisaient donner. " Beaucoup de religieux et de paysans, dit Léopold Bellisle, recevaient pour leurs feux des fêtes de Noël un arbre ou une grosse bûche nommée tréfouet ". Le tréfeu, le tréfouet que Ton retrouve sous le même nom en Normandie, en Lorraine" en Bourgogne, en Berry, etc., c'est, nous apprend le commentaire du Dictionnaire de Jean de Garlande, la grosse bûche qui devait, suivant la tradition; durer pendant les trois jours de fêtes. De là, du reste, 9on nom : tréfeu, en latin très foci, trois feux.

Partout, même dans les plus humbles chaumières, on veillait autour de larges foyers où flambait la souche de hêtre ou de chêne, avec ses bosses et ses creux, avec ses lierres et ses mousses. La porte restait grande ouverte aux pauvres gens qui venaient demander un gite pour la nuit. On leur versait en abondance le vin, la bière ou le cidre, suivant les contrées, et une place leur était accordée à la table de famille. On attendait ainsi la Messe de minuit.

Qu'on se représente les immenses cheminées d'autrefois : sous leur manteau pouvait s'abriter une famille tout entière, parents, enfants, serviteurs, sans compter les chiens fidèles et les chats frileux. Une bonne vieille grand'mère contait des histoires qu'elle interrompait seulement pour frapper la bûche avec sa pelle à feu et en faire jaillir le plus possible d'étincelles, en disant : " Bonne année, bonnes récoltes, autant de gerbes et de gerbillons ".

La bûche de Noël était un usage très répandu dans presque toutes les provinces de notre vieille France.

Voici, d'après M. J. Cornandet (bibliothécaire de la ville de Chaumont), le cérémonial que Ton suivait dans la plupart des familles :
" Dès que la dernière heure du jour s'était fondue dans l'ombre de la nuit, tous les chrétiens avaient grand soin d'éteindre leurs foyers, puis allaient en foule allumer des brandons à la lampe qui brûlait dans l'église, en l'honneur de Jésus. Un prêtre bénissait les brandons que l'on allait promener dans les champs. Ces brandons portaient le seul feu qui régnait dans le village. C'était le feu bénit et régénéré qui devait jeter de jeunes étincelles sur l'âtre ranimé.
Cependant, le père de famille, accompagné de ses enfants et de ses serviteurs, allait à l'endroit du logis où, l'année précédente, ils avaient mis en réserve les restes de la bûche. Ils apportaient solennellement cas tisons; l'aïeul les déposait dans le foyer et tout le monde se mettant à genoux, récitait le Pater, tandis que deux forts valets de ferme ou deux garçons apportaient la bûche nouvelle. Cette bûche était toujours la plus grosse qu'on pût trouver; c'était la plus grosse partie du tronc de l'arbre, ou même la souche, on appelait cela la Coque (Le gâteau allongé en forme de bûche que l'on donne aux enfants le jour de Noël porte encore dans certains pays le nom de coquille ou petite bûche, en patois, le cogneù) de Noël ; on y mettait le feu et les petits enfants allaient prier dans un coin de la chambre, la face tournée contre le mur, afin, leur disait-on, que la souche leur fit des présents; et tandis qu'ils priaient l'Enfant-Jésus de leur accorder la sagesse, on mettait au bout de la bûche des fruits confits, des noix et des bonbons.
A onze heures, tous les jeux, tous les plaisirs cessaient. Dès les premiers tintements de la cloche, on se mettait en devoir d'aller à la messe, on s'y rendait en longues files avec des torches à la main.
Avant et après la messe, tous les assistants chantaient des Noëls, et on revenait au logis se chauffer à la bûche et faire le réveillon dans un joyeux repas. "

Un vieil auteur, Marchetti, expose le sens religieux de ces pratiques : " La bûche de Noël, dit-il, représente Jésus-Christ qui s'est comparé lui-même au bois vert. Dès lors, continue notre auteur, l'iniquité étant appelée dans le quatrième Livre des Proverbes le vin et la boisson des impies, il semble que le vin répandu par le chef de famille sur cette bûche signifiait la multitude de nos iniquités que le Père Eternel a répandues sur son Fils dans le mystère de l'Incarnation, pour être consumées avec lui dans la charité, dont il a brûlé durant le cours de sa vie mortelle. " J. J. (Semaine religieuse du diocèse de Langres, 23 décembre 1905). Nous allons raconter ce que la bûche de Noël offrait de particulier : - en Berry
- en Normandie
- en Provence
- en Bretagne.



08/12/2007
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